Validité d’un Dessin ou Modèle…
Validité d’un Dessin ou Modèle…
Etude de Cas Pratique avec le Chef Alain Passard
Le Chef étoilé Alain Passard (Miam !) reproche à Carrefour d’avoir imprimé et distribué un prospectus comportant la photographie d’une tarte aux pommes dont l’aspect est beaucoup trop proche de celui de modèles qu’il avait pris le soin de déposer à l’INPI.
Bien évidemment, Carrefour conteste le validité des modèles et pour cela, le distributeur verse aux débat des antériorités.En matière de droit d’auteur, les avocats doivent caractériser l’originalité d’une œuvre en expliquant la démarche artistique de son créateur, le Chef Alain Passard.
La Question de l’Accessibilité de l’Art antérieur…
Un jugement rendu le 15 mars 2018 par le TGI de Paris donne l’occasion de faire un point sur un aspect bien précis des conditions de validité des dessins & modèles. Il s’agit de ce qu’on peut appeler l’accessibilité de l’art antérieur. La question se pose lorsque la validité d’un dessin ou modèle est appréciée au regard d’une antériorité, ce qui est le cas le plus fréquent.
Le tribunal doit dans ce cas apprécier si le modèle dont la validité est en jeu remplit les condition de nouveauté et de caractère propre/individuel au regard de cette antériorité. Cet examen suppose préalablement qu’il y a bien eu divulgation de l’art antérieur invoqué. La notion de divulgation implique non seulement la matérialité de la divulgation mais également son accessibilité.
Ce principe de base se heurte à des difficultés probatoires lorsqu’il s’agit de sa mise en œuvre effective, notamment parce que les modèles, images, dessins circulent sur internet.
« Un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s’il a été rendu accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen. Il n’y a pas divulgation lorsque le dessin ou modèle n’a pu être raisonnablement connu, selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé, par des professionnels agissant dans la Communauté européenne, avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée. »
Modèles dont la validité est en jeu…
Ce sont les modèles n°080363-004 et n°080363 – 005, reproduits ci-dessous, qui sont invoqués. Leur date de dépôt est le 23 janvier 2008. La particularité de ces tartes réside dans « le positionnement des pommes en forme de boutons de rose », obtenues à partir de lamelles finement découpées à l’aide d’un instrument spécifique.
Réponse de Carrefour : La nullité des modèles !
Antériorités invoquées : Un livre de Martha Stewart « Baking Handbook ». La défense sollicite la nullité des modèles en produisant deux pièces essentielles qui le montrent : Une tarte ronde aux nectarines « placées comme des roses » sur le fond de la tarte et « déjà vue » dans le livre Martha Stewart Baking Handbook, publié le 1er novembre 2005 (en anglais). Une « rosy apple tart » du même genre aux pommes sculptées comme des boutons de roses mais qui est de forme carrée, dans le numéro de février 2005 du magazine Martha Stewart’s Living (également en anglais).
Stratégie de défense de Carrefour
Sachant que ces publications ont été divulguées de façon certaine et antérieurement au dépôt des modèles en jeu, c’est en premier lieu sur leur accessibilité que se focalise les avocats du Chef Alain Passard. Pour cela, le titulaire du modèle enregistré s’emploie à montrer que Martha Stewart n’était pas connue en France à l’époque du dépôt des modèles dans le domaine de la gastronomie. La preuve via des articles de presse français qui présentent l’auteur des ouvrages invoqués.
Pour le tribunal : « il ressort des articles publiés que Martha Stewart qui met en avant aujourd’hui ses qualités culinaires en participant à des émissions télévisées avec des personnalités et dont les publications en langue anglaise sont désormais disponibles sur les sites d’achat en ligne en France était à l’époque du dépôt, connue aux États Unis pour sa fortune et sa réussite auprès d’un public d’américaines friandes de ses conseils pour « rendre la vie plus belle ».
Mais les Juges retiennent ceci…
« résulte ainsi de ce qui précède qu’il s’agit de personnalités différentes qui ne s’adressent pas au même public. Il est ainsi peu probable que monsieur AP dans son secteur d’activité ait eu connaissance avant le dépôt de ses modèles, des recettes de MS dont les publications doivent être en conséquence écartées. »
Bien vu le célèbre Chef qui préserve ainsi la validité de ses modèles et lui permet dans cette instance d’obtenir la condamnation de Carrefour !
Preuves et jeux de Présomptions
Celui qui invoque un dessin ou modèle antérieur doit en prouver la divulgation. Il bénéficie de ce fait d’une présomption de l’accessibilité de cette divulgation pour les milieux intéressés. Le titulaire du dessin ou modèle communautaire contesté peut réfuter cette présomption en démontrant à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires. Le titulaire du modèle contesté doit donc, de son côté, apporter une preuve pour renverser la présomption d’accessibilité.
Schématiquement, il s’agit d’apporter la preuve que les milieux spécialisés n’avaient normalement pas connaissance de la divulgation, autrement dit il faut apporter la preuve d’un fait négatif. En pratique, lorsqu’il s’agit de prouver un fait négatif, soit il est admis que la charge de la preuve est renversée, soit le plaideur doit s’efforcer d’apporter la preuve d’un fait positif contraire. C’est une preuve qui peut s’avérer diabolique…
Lire la suite ici – Remerciements à Frédéric Glaize